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Dans ce chapitre nous nous intéresserons à l'invention théorique de l'ordinateur en 1936 et au contexte culturel qui l'aura précédé. Nous verrons que les racines historiques sont très profondes. Il s'agit notamment deux grands mouvements du progrès technique : celui de l'automatique et celui de la mécanique. Nous verrons également, plus loin, que les réflexions sur les communications, en particulier la logique, ont également beaucoup contribué au fond culturel qui conduira à l'invention de l'ordinateur.
La mécanique, dans le sens qui nous intéresse ici, est la conception et la réalisation de mécanismes, de “machines”, capables de suppléer l'Homme ou l'animal. L'automatique vise à concevoir des dispositifs capables d'agir, voire de réagir à leur environnement, de façon autonome, sans intervention extérieure. À l'idéal, ces deux voies convergent donc vers la vie artificielle, vers le robot “androïde”, mythe très ancien puisqu'on le trouve dans l'Iliade sous la forme de servantes d'or mécaniques du dieu Héphaistos[1]. Évoquons aussi la légende de Pygmalion, sculpteur chypriote qui tombe amoureux d'une de ses statue qui prendra vie[2]. On pensera, plus près de nous, à la légende yiddish du golem. Dans tous ces cas, des hommes ou des dieux animent des artéfacts par leur art, leur technique.
« Automate » signifie, en grec, qui se meut de soi-même ou par lui-même. La mise en œuvre la plus ancienne de l'automatique que l'on puisse imaginer (on n'en a pas de preuve directe), en tout cas la plus prototypique, est celle de pièges de chasseurs. Celui-ci remplace un besoin de force physique (la course, la maîtrise d'un animal) et d'adresse (la maîtrise d'une arme), par une habileté technique. Une fois conçu et mis en place il “fonctionne” par lui-même, sans l'intervention de son auteur, voire même en son absence. Le piège peut être un objet très simple et passif, c'est à dire utiliser essentiellement la force de la proie, comme une nasse ou un trou garni de pieux et caché sous des branchages, ou encore un instrument plus complexe, mais toujours passif, comme un collet (où la proie s'enferme), ou enfin une machine active utilisant une réserve d'énergie, par exemple un arbre fléchi comme dans l'exemple ci-dessous.
Le premier automatisme stricto sensu largement utilisé dont nous conservons des traces historiques est la clepsydre améliorée par Ctésibios (300 AÈC-270 AÈC). Une clepsydre, ou horloge à eau, est, pour l'essentiel, un récipient qui marque l'écoulement du temps en se remplissant d'eau peu à peu. Avant Ctésibios les clepsydres se remplissaient généralement à partir d'un réservoir supérieur percé d'un trou très fin. Le problème est qu'un tel écoulement n'est pas régulier (le débit ralentit au fur et à mesure que le réservoir se vide et que la pression baisse). Pour assurer un écoulement constant, une solution consiste à utiliser un réservoir de remplissage dont le niveau est maintenu constant, soit à l'aide d'un trop-plein (peu économe), soit à l'aide d'une soupape d'entrée (c'est la solution de Ctésibios). C'est la première régulation chronométrique attestée. Elle sera suivie par de nombreux autres, comme les régulateurs à boules ou à ressort. Ces mécanismes sont analogiques ; le premier mécanisme de régulation non-analogique connu est la régulation des horloges par un pendule, inventée par Galilée (1564-1642).[3]
Le mot « mécanique », au sens propre, désigne ce qui est relatif aux machines, une machine étant un assemblage d'instrument articulés entre eux. La mécanique, elle aussi, se développe au moins depuis l'Antiquité. Ses avatars les plus emblématiques sont probablement les moulins à eau, en usages dès l'Antiquité, puis à vent, qui diffusent en Europe à partir du 12e siècle, les machines à vapeur, moteur de la révolution industrielle, et les machines à calculer, dont celle que construisit Pascal pour aider son père dans ses calculs comptables fastidieux (cf. ci-après).
[1] L'Iliade mentionne d'ailleurs d'autres « automatoi » : des trépieds, des charmeuses, des chiens de garde et autres animaux, un géant de bronze. Héphaistos est crédité de nombreuses autres créations admirables qui ne surprendraient dans aucune œuvre de science-fiction moderne.
[2] La forme la plus classique de la légende de Pygmalion et Galatée se trouve dans les Métamorphoses d'Ovide.
[3] Pour en savoir plus sur les automates, cf. [Verroust, s. 3 « l'histoire... »]. Attention, cette référence ne distingue pas comme nous entre mécanisme et automatisme (distinction il est vrai parfois un peu artificielle, les deux étant souvent intimement liés).