La convergence numérique est déjà en germe dans la première architecture de von Neumann. Comme le dit Nicholas Negroponte, fondateur du Medialab, « un bit est un bit » : tous les documents reposent sur le même principe de codage numérique de l'information sous forme de fichiers qui peuvent être stockés par les mêmes types de mémoires (de masse ou centrales). Programme ou donnée, vidéo ou texte, carte vectorielle ou photo, tout est égal pour l'ordinateur. Ainsi, elles peuvent, potentiellement, être traitées par les mêmes machines, stockées dans les mêmes mémoires, échangées sur les mêmes réseaux. Des données de toutes natures peuvent également se trouver groupées dans un même document et ce, de façon relativement aisée ; c'est le principe du multimédia. Cette coexistence de plusieurs types de codage de l'information à l'intérieur d'un même document était d'emblée inévitable, même s'il fallut le temps d'une génération humaine pour qu'il émerge.
Ce phénomène de convergence ne concerne pas que les documents. Il a également gagné, progressivement tous les matériels. Les premières consoles de jeu, dans les années 1970 et 1980, rapprochent ordinateur et télévision (Pong, le premier jeu video sur console, sort en 1972). Le Minitel et les serveurs télématiques, dans les années 1980, sont un rapprochement de l'ordinateur et du téléphone[31]. Dans les années 1980 et 1990, le disque vidéo, puis le CD et le DVD, qui fournissent les premiers supports numériques grand public au son et à la vidéo sont eux un rapprochement entre l'ordinateur et la musique et le cinéma-télévision. On arrive ainsi progressivement à des dispositifs tels que les ordiphones (smartphones) qui en un seul artéfact regroupent : téléphone, visiophone, texteur SMS, assistant personnel, ordinateur, visionneuse de films, de musiques, de photos et de textes, récepteur de télévision et radio, navigateur web, etc. Cette évolution touche également les infrastructures puisque les réseaux téléphoniques sont aujourd'hui (presque) intégralement fondus dans les réseaux informatiques. Notons à ce propos, que l'on ne dit plus guère « télé-communication », mais simplement « communication » : l'incidence est prégnante sur nos conceptions de l'espace et du temps elles-mêmes.
Cette convergence n'est pas une simple addition de fonctionnalités, elles permettent aussi des créations hybrides qui mêlent d'emblée images et sons, textes et animations, réalité virtuelle et interaction, etc. Elle occasionne ainsi une nouvelle créativité (le film Tin Tay, des studios Pixar, reçoit un Oscar en 1988). Elle nous force également à repenser les cadres de la création, en particulier concernant “le” droit d'auteur, aujourd'hui encore extrêmement disparate selon les types d'œuvres et de supports. Les œuvres numériques sont comme les idées, telles que les présentait Thomas Jefferson en 1813 : reprendre une idée de quelqu'un ne diminue en rien sa connaissance. Les œuvres numériques, comme les idées, se copient à l'infini, sans diminution de qualité. Ceci pose d'ailleurs un autre problème pour le droit de copie et pour le droit d'auteurs, pensés à une époque où la copie, plutôt que la conception, était l'opération productive de référence.
En prenant un peu de recul on peut voir à l'œuvre un phénomène également présent sur d'autres supports : la transformation d'un moyen de communication en moyen de diffusion, de publication, puis en outil de travail, de production. Pensons à la route : la systématisation des relais de postes ouvre la possibilité des journaux. Pensons à la radio et au développement de la radio-télégraphie durant la première moitié du 20e siècle[32] puis de la radio-téléphonie (à partir de l'époque de la 1re Guerre mondiale), puis de la radio-diffusion (à partir des années 1920 (USA : 1920, France : 1921), dont la TV à partir des années 1930). On retrouve ce type d'évolution pour Internet et les TIC. Durant la seconde moitié du 20e s.: développement de l'ordinateur (à partir des années 1940), puis de la correspondance électronique (à partir des années 1960, dont Internet) puis de la réelle communication numérique (à partir des années 1980, dont le web) puis des outils de travail : ENT, bureaux virtuels, etc.
[31] C'est la première implémentation à grande échelle d'un tel rapprochement, mais dès septembre 1940, à l'occasion du congrès annuel de l'AMS la société Bell avait relié des télétypes au calculateur Model 1 (Manhattan) par lignes téléphoniques. La réponse en moins d'une minute fit forte impression.
[32] 1888 : expérience de Hertz, puis très vite développement de la recherche hors des laboratoires scientifiques ; TSF, dès la toute fil du 19e s., en particulier pour les navires (pour lesquels la technologie filaire ne s'applique pas, rappelons-le) ; dès les années 1910 réseau de communication très étendu, à la surface du globe ; quasi-totalité des stations : armée, marine ou postes